【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (34)
Les faces rouges le dévisageaient. Dans les inflexions canailles des voix, dans les
hanches hautes, les cous gonflés, les dandinements des cuisses, les abandons
des mains, il devinait à son adresse tout un flot d’ordures. Gavard, au milieu
de ces jupes impudentes et fortes d’odeur, se serait pâmé d’aise, quitte à
fesser à droite et à gauche, si elles l’avaient serré de trop près. Florent, que les
femmes intimidaient toujours, se sentait peu à peu perdu dans un cauchemar
de filles aux appas prodigieux, qui l’entouraient d’une ronde inquiétante,
avec leur enrouement et leurs gros bras nus de lutteuses.
Parmi ces femelles lâchées, il avait pourtant une amie. Claire déclarait
nettement que le nouvel inspecteur était un brave homme. Quand il passait,
dans les gros mots de ses voisines, elle lui souriait. Elle était là, avec des
mèches de cheveux blonds dans le cou et sur les tempes, la robe agrafée de
travers, nonchalante derrière son banc. Plus souvent, il la voyait debout, les
mains au fond de ses viviers, changeant les poissons de bassins, se plaisant
à tourner les petits dauphins de cuivre, qui jettent un fil d’eau par la gueule.
Ce ruissellement lui donnait une grâce frissonnante de baigneuse, au bord
d’une source, les vêtements mal rattachés encore.
Un matin, surtout, elle fut très aimable. Elle appela l’inspecteur pour lui
montrer une grosse anguille qui avait fait l’étonnement du marché, à la criée.
Elle ouvrit la grille, qu’elle avait prudemment refermée sur le bassin, au
fond duquel l’anguille semblait dormir.
– Attendez, dit-elle, vous allez voir.