【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (72)
Le dîner, le soir, chez les Quenu, devenait moins cordial. La netteté
de la salle à manger prenait un caractère aigu et cassant. Florent sentait
un reproche, une sorte de condamnation dans le chêne clair, la lampe trop
propre, la natte trop neuve. Il n’osait presque plus manger, de peur de laisser
tomber des miettes de pain et de salir son assiette. Cependant, il avait une
belle simplicité qui l’empêchait de voir. Partout il vantait la douceur de Lisa.
Elle restait très douce, en effet. Elle lui disait, avec un sourire, comme en
plaisantant :
– C’est singulier, vous ne mangez pas mal, maintenant, et pourtant vous
ne devenez pas gras… Ça ne vous profite pas.
Quenu riait plus haut, tapait sur le ventre de son frère, en prétendant
que toute la charcuterie y passerait, sans seulement laisser épais de graisse
comme une pièce de deux sous. Mais, dans l’insistance de Lisa, il y avait
cette haine, cette méfiance des maigres que la mère Méhudin témoignait plus
brutalement ; il y avait aussi une allusion détournée à la vie de débordements
que Florent menait. Jamais, d’ailleurs, elle ne parlait devant lui de la belle
Normande. Quenu ayant fait une plaisanterie, un soir, elle était devenue
si glaciale, que le digne homme ne recommença pas. Après le dessert, ils
demeuraient là un instant. Florent, qui avait remarqué l’humeur de sa bellesœur,
quand il partait trop vite, cherchait un bout de conversation. Elle était
tout près de lui. Il ne la trouvait pas tiède et vivante, comme la poissonnière ;
elle n’avait pas, non plus, la même odeur de marée, pimentée et de haut
goût ; elle sentait la graisse, la fadeur des belles viandes. Pas un frisson ne
faisait faire un pli à son corsage tendu. Le contact trop ferme de la belle
Lisa inquiétait plus encore ses os de maigre que l’approche tendre de la
belle Normande. Gavard lui dit une fois, en grande confidence, que madame
Quenu était certainement une belle femme, mais qu’il les aimait « moins
blindées que cela. »