【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (73)
Lisa évitait de parler de Florent à Quenu. Elle faisait, d’habitude, grand
étalage de patience. Puis, elle croyait honnête de ne pas se mettre entre les
deux frères, sans avoir de bien sérieux motifs. Comme elle le disait, elle était
très bonne, mais il ne fallait pas la pousser à bout. Elle en était à la période de
tolérance, le visage muet, la politesse stricte, l’indifférence affectée, évitant
encore avec soin tout ce qui aurait pu faire comprendre à l’employé qu’il
couchait et qu’il mangeait chez eux, sans que jamais on vît son argent ;
non pas qu’elle eût accepté un payement quelconque, elle était au-dessus de
cela ; seulement, il aurait pu, vraiment, déjeuner au moins dehors. Elle fit
remarquer un jour à Quenu :
– On n’est plus seuls. Quand nous voulons nous parler, maintenant, il
faut attendre que nous soyons couchés, le soir.
Et, un soir, elle lui dit, sur l’oreiller :
– Il gagne cent cinquante francs, n’est-ce pas ? ton frère… C’est singulier
qu’il ne puisse pas mettre quelque chose de côté pour s’acheter du linge. J’ai
encore été obligée de lui donner trois vieilles chemises à toi.
– Bah ! ça ne fait rien, répondit Quenu, il n’est pas difficile, mon frère…
Il faut lui laisser son argent.
– Oh ! bien sûr, murmura Lisa, sans insister davantage, je ne dis pas ça
pour ça… Qu’il le dépense bien ou mal, ce n’est pas notre affaire.