【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (80)
Elle parlait rarement. Cette grande fille grave, perdue au milieu de tous
ces hommes, avait une façon professorale d’écouter parler politique. Elle
se renversait contre la cloison, buvait son grog à petits coups, en regardant
les interlocuteurs, avec des froncements de sourcils, des gonflements
de narines, toute une approbation ou une désapprobation muettes, qui
prouvaient qu’elle comprenait, qu’elle avait des idées très arrêtées sur les
matières les plus compliquées. Parfois, elle roulait une cigarette, soufflait du
coin des lèvres des jets de fumée minces, devenait plus attentive. Il semblait
que le débat eût lieu devant elle, et qu’elle dût distribuer des prix à la fin. Elle
croyait certainement garder sa place de femme, en réservant son avis, en ne
s’emportant pas comme les hommes. Seulement, au fort des discussions, elle
lançait une phrase, elle concluait d’un mot, elle « rivait le clou » à Charvet
lui-même, selon l’expression de Gavard. Au fond, elle se croyait beaucoup
plus forte que ces messieurs. Elle n’avait de respect que pour Robine, dont
elle couvait le silence de ses grands yeux noirs.