【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (92)
Dans la chambre, il fut très contrarié de voir que Lisa avait laissé la bougie
allumée ; cette bougie brûlait au milieu du grand silence, avec une flamme
haute et triste. Comme il ôtait ses souliers et les posait sur un coin du tapis,
la pendule sonna une heure et demie, d’un timbre si clair, qu’il se retourna
consterné, redoutant de faire un mouvement, regardant d’un air de furieux
reproche le Gutenberg doré qui luisait, le doigt sur un livre. Il ne voyait
que le dos de Lisa, avec sa tête enfouie dans l’oreiller ; mais il sentait bien
qu’elle ne dormait pas, qu’elle devait avoir les yeux tout grands ouverts,
sur le mur. Ce dos énorme, très gras aux épaules, était blême, d’une colère
contenue ; il se renflait, gardait l’immobilité et le poids d’une accusation
sans réplique. Quenu, tout à fait décontenancé par l’extrême sévérité de ce
dos qui semblait l’examiner avec la face épaisse d’un juge, se coula sous les
couvertures, souffla la bougie, se tint sage. Il était resté sur le bord, pour ne
point toucher sa femme. Elle ne dormait toujours pas, il l’aurait juré. Puis,
il céda au sommeil, désespéré de ce qu’elle ne parlait point, n’osant lui dire
bonsoir, se trouvant sans force contre cette masse implacable qui barrait le
lit à ses soumissions.
Le lendemain, il dormit tard. Quand il s’éveilla, l’édredon au menton,
vautré au milieu du lit, il vit Lisa, assise devant le secrétaire, qui mettait
des papiers en ordre ; elle s’était levée, sans qu’il s’en aperçût, dans le gros
sommeil de son dévergondage de la veille. Il prit courage, il lui dit, du fond
de l’alcôve :
– Tiens ! pourquoi ne m’as-tu pas réveillé ?… Qu’est-ce que tu fais là ?
– Je range ces tiroirs, répondit-elle, très calme, de sa voix ordinaire.