【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (94)
– Tu le sais, je te laisse absolument libre, reprit-elle après un silence,
tout en continuant à classer les papiers ; je ne veux pas porter les culottes,
comme on dit… Tu es le maître, tu peux risquer ta situation, compromettre
notre crédit, ruiner la maison… Moi, je n’aurai plus tard qu’à sauvegarder
les intérêts de Pauline.
Il protesta, mais elle le fit taire du geste, en ajoutant :
– Non, ne dis rien, ce n’est pas une querelle, pas même une explication,
que je provoque… Ah ! si tu m’avais demandé conseil, si nous avions causé
de ça ensemble, je ne dis pas ! On a tort de croire que les femmes n’entendent
rien à la politique… Veux-tu que je te la dise, ma politique, à moi ?
Elle s’était levée, elle allait du lit à la fenêtre, enlevant du doigt les grains
de poussière qu’elle apercevait sur l’acajou luisant de l’armoire à glace et
de la toilette-commode.
– C’est la politique des honnêtes gens… Je suis reconnaissante au
gouvernement, quand mon commerce va bien, quand je mange ma soupe
tranquille, et que je dors sans être réveillée par des coups de fusil… C’était
du propre, n’est-ce pas, en 48 ? L’oncle Gradelle, un digne homme, nous
a montré ses livres de ce temps-là. Il a perdu plus de six mille francs…
Maintenant que nous avons l’empire, tout marche, tout se vend. Tu ne peux
pas dire le contraire… Alors, qu’est-ce que vous voulez ? qu’est-ce que vous
aurez de plus, quand vous aurez fusillé tout le monde ?