【法语版】L'île au trésor XXIII (2)
XXIII À marée descendante(2)
Cette amarre était tendue comme une corde d’arc, et le courant si fort,
que le schooner virait sur son ancre. Tout autour de sa coque, dans la nuit,
l’eau chantait en fuyant comme un ruisseau de montagne. Un coup de mon
couteau, et l’Hispaniola s’en allait vers le large avec la marée. Rien de plus
simple en apparence. Mais je me rappelai tout à coup qu’un grelin tendu et
qu’on tranche net peut être chose dangereuse comme une ruade. Il y avait dix
à parier contre un que la pirogue et moi, nous serions jetés en l’air si j’avais
l’imprudence de couper l’ancre de l’Hispaniola. Cette réflexion m’arrêta, et
si le hasard ne m’avait pas encouragé de la façon la plus formelle, il est fort
probable que j’aurais abandonné mon projet.
Mais la brise avait sauté au Sud-Ouest ; pendant que je méditais ainsi,
il arriva qu’elle frappa l’Hispaniola et la força contre le courant. À ma joie
intense, je sentis le câble se relâcher sous mes doigts et la main dans laquelle
je le tenais plongea dans l’eau pendant une seconde ou deux.
Je pris aussitôt ma décision. Tirant mon coutelas, je l’ouvris avec mes
dents, puis je me mis à scier un toron après l’autre jusqu’à ce qu’il n’en restât
plus que deux sur l’épaisseur du câble, pour tenir le navire. Après quoi, je
m’arrêtai, attendant, pour trancher ces deux derniers torons, que l’amarre fût
de nouveau détendue par un souffle de vent.