【法语版】L'île au trésor 金银岛 I (4)
I Le vieux loup de mer (4)
Personnellement, je savais fort bien à quoi m’en tenir sur cette inquiétude
toute spéciale que lui causait l’arrivée d’un homme de mer, et je puis même
dire que je la partageais, car, fort peu de temps après son arrivée, il m’avait
pris à part et m’avait promis de me donner, tous les premiers du mois,
une pièce de quatre pence si je voulais « avoir l’œil ouvert et veiller au
grain » ; l’arrivée possible de certain marin à une seule jambe m’était
particulièrement signalée ; je devais, dans ce cas, courir, sans perdre une
minute, avertir le Capitaine de cet évènement. La plupart du temps, il est
vrai, quand le premier du mois arrivait, j’étais obligé de réclamer mes gages,
et je n’obtenais en réponse qu’un bruit nasal accompagné d’un regard qui
me faisait baisser les yeux. Mais, avant la fin de la semaine, j’étais sûr que
le Capitaine m’apporterait ma pièce de quatre pence, en me réitérant l’ordre
« d’ouvrir l’œil et de signaler au plus vite l’arrivée du marin à une seule
jambe ».
Je n’ai pas besoin de dire à quel point ce personnage mystérieux hantait
ma cervelle enfantine. Par les nuits orageuses, quand le vent secouait les
quatre coins de la maison et que les vagues venaient se briser sur la falaise
avec un bruit de tonnerre, je le voyais sous mille aspects variés et plus
diaboliques les uns que les autres. Tantôt la jambe était coupée au genou,
tantôt à la hanche. D’autre fois, l’homme devenait une sorte de monstre
qui n’avait jamais eu qu’une seule jambe au milieu du corps. Mais le
pire cauchemar était de le voir courir et me poursuivre à travers champs
en sautant par-dessus les haies. Au total, je payais assez cher ma pièce
mensuelle de quatre pence, avec ces rêves abominables.