【法语版】L'île au trésor 金银岛 I (5)
I Le vieux loup de mer (5)
Mais en dépit de cette terreur que me causait l’idée seule de l’homme
à la jambe unique, j’étais beaucoup moins effrayé du Capitaine lui-même
que toutes les autres personnes de mon entourage. Parfois, le soir, il buvait
plus de rhum que sa tête ne pouvait en porter, et se mettait à beugler ses
vieux chants bachiques ou nautiques, sans faire attention à rien de ce qui se
passait dans le parloir. Mais, d’autre fois, il faisait donner des verres à tout
le monde et forçait les pauvres gens tremblants à écouter des histoires sans
queue ni tête ou à l’accompagner en chœur. Bien souvent j’ai entendu vibrer
tous les planchers de la maison au chant des « Yo-ho-ho, Yo-ho-ho, – qui
voulaient la bouteille ! » Tous les voisins s’y mettaient à tue-tête, car la peur
les talonnait ; et c’était à qui crierait le plus fort pour éviter les observations.
C’est que, dans ces accès, notre locataire était terrible. Il faisait trembler
la terre sous ses coups de poing pour réclamer le silence ; ou bien il se mettait
dans une colère effroyable parce qu’on lui adressait une question, – ou parce
qu’on ne lui en adressait pas, – et qu’il en concluait que la compagnie
n’écoutait pas son histoire… Il n’aurait pas fallu non plus s’aviser de quitter
l’auberge avant qu’il fût allé se coucher en titubant ! Notez que presque
toujours ses récits étaient faits pour donner la chair de poule. Ce n’étaient
que pendaisons à la grande vergue, coups de couteau, combats corps à
corps, tempêtes effroyables, aventures ténébreuses sur les océans des deux
mondes. D’après ses propres dires, il avait certainement vécu parmi les
plus atroces gredins que la mer ait jamais portés ; et le langage dont il se
servait pour décrire toutes ces horreurs était fait pour épouvanter de simples
campagnards, comme nos habitués, plus encore peut-être que les crimes
mêmes dont ils écoutaient le récit. Cet homme nous glaçait littéralement le
sang dans les veines.