【法语版】L'île au trésor XXII (7)
XXII Comment je repris la mer(7)
Maintenant que j’avais vu et touché ce bateau, on pourrait croire que
j’avais suffisamment fait l’école buissonnière. Mais une nouvelle idée venait
de poindre dans ma tête, et cette idée me séduisait au point de l’accomplir, je
crois, à la barbe même du capitaine Smollett. Cette idée, la voici : Pourquoi,
protégé par les ombres de la nuit, n’irais-je pas dans cette pirogue jusqu’à
l’Hispaniola, pour couper son amarre et laisser aller le schooner s’échouer
où il voudrait ?… Il me semblait que les rebelles, après leur défaite du
matin, ne pouvaient plus songer qu’à lever l’ancre et à prendre le large. Il me
paraissait beau de les en empêcher. Et maintenant que je les voyais laisser
leurs hommes de garde sans chaloupe, l’entreprise pouvait être relativement
aisée.
Je m’assis par terre pour penser à ces choses et croquer un biscuit, en
attendant que la nuit fût tombée. On aurait dit qu’elle était faite à souhait
pour mon projet. Le brouillard montait à vue d’œil et cachait entièrement
le ciel. L’obscurité fut bientôt profonde. Quand je me décidai à prendre le
canot de Ben Gunn sur mon épaule et à me diriger presque à tâtons vers la
mer, il n’y avait que deux points visibles dans tout le mouillage : le premier
était le grand feu, près du marais, autour duquel les pirates vaincus noyaient
leur humiliation dans le rhum ; l’autre était une petite lueur pâle qui perçait
à peine le brouillard en indiquant la position du navire à l’ancre.
Le schooner avait graduellement viré de bord avec la marée descendante ;
son avant se trouvait tourné de mon côté ; les seuls fanaux allumés à bord se
trouvaient dans le salon ; et ce que je voyais n’était que la réflexion, sur la
surface des eaux, de la nappe de lumière qui sortait de la fenêtre de la poupe.
La marée étant déjà très basse, j’eus à marcher pendant un assez long
espace sur le sable mouillé, où j’enfonçais jusqu’à la cheville. Mais enfin
j’arrivai à l’eau, et, y entrant jusqu’à mi-jambe, je réussis à déposer assez
adroitement ma pirogue, la quille en bas, sur l’onde amère.