【法语版】L'île au trésor XXIV(2)
XXIV Le voyage de la pirogue(2)
J’avais d’ailleurs dans la tête la carte de l’île, et je me rappelai fort bien
qu’après le cap de Tire-Bouline la côte s’infléchissait en forme de golfe et
laissait à découvert à marée basse une longue bande de sable jaune. Plus au
Nord encore venait un autre cap, désigné sous le nom de cap des Bois, à
cause des grands sapins verts qui le couvraient en descendant jusqu’à la mer.
Je savais aussi qu’un courant longe la côte ouest de l’île, en se dirigeant vers
le Nord ; et voyant, d’après ma position, que j’étais déjà sous l’influence de
ce courant, je préférai laisser le cap de Tire-Bouline derrière moi et réserver
mes forces pour tenter d’atterrir vers le cap des Bois.
La mer était assez grosse, mais, par bonheur, la brise soufflait du Sud,
de sorte qu’il n’y avait pas lutte entre elle et le courant et que les vagues se
soulevaient et retombaient sans se briser. S’il en eût été autrement, j’aurais
infailliblement péri depuis longtemps. Mais, dans l’état des choses, mon
petit bateau flottait avec une légèreté et une immunité surprenantes. Par
instants, couché comme je l’étais au fond de la pirogue et ne laissant dépasser
qu’un œil au-dessus du bord, je voyais une énorme montagne bleue se
soulever tout près de moi ; mais la pirogue ne faisait que bondir un peu plus
haut, danser comme sur des ressorts, et, légère comme un oiseau, glisser
dans la vallée.
Je finis par m’enhardir et m’asseoir pour m’essayer à la manœuvre
de la pagaie. Mais le plus léger changement dans la répartition du poids
peut produire d’étranges différences dans la manière dont se comporte une
pirogue. À peine avais-je modifié mon assiette que l’esquif, abandonnant
son doux balancement, se mit à descendre comme une flèche sur la pente
liquide et, en se relevant, alla piquer sa pointe droit dans le flanc de la vague
suivante.