【法语版】L'île au trésor XXIV(7)
XXIV Le voyage de la pirogue(7)
Mais enfin je crus avoir trouvé l’instant favorable. La brise était à
peu près tombée pendant quelques secondes ; le courant faisant tourner
l’Hispaniola sur elle-même, elle me présenta sa poupe, avec la fenêtre
grande ouverte, et la lampe toujours allumée au-dessus de la table, en plein
jour. La grande voile tombait le long du mât comme un drapeau. Sauf pour
le lent mouvement de progression que lui imprimait le courant, le navire
semblait être à l’ancre. Je redoublai d’efforts pour le rejoindre, et je n’en
étais pas à cent mètres quand un souffle de brise arriva, tomba dans les voiles
par bâbord, et le fit repartir en rasant l’eau comme une hirondelle.
Mon premier mouvement fut le désespoir. Le second fut la joie du
triomphe. L’Hispaniola virait et me présentai le flanc ; elle virait encore et
revenait sur moi ; elle franchissait la moitié, puis les deux tiers, puis les
trois quarts de la distance qui nous séparait. Elle allait m’atteindre. Je voyais
les vagues bouillonnant toutes blanches sous sa proue. D’en bas, dans ma
pirogue, elle me paraissait effroyablement haute.
Et tout d’un coup je mesurai l’étendue du péril. Mais j’eus à peine
le temps de penser, à peine le temps d’agir pour y échapper. J’étais sur
le sommet d’une lame quand le schooner plongea son avant dans la plus
proche. Son beaupré s’allongeait au-dessus de ma tête. Je me dressai debout
et je pris mon élan en repoussant la pirogue sous mes pieds. D’une main
je saisis le bâton de foc, tandis que mes jambes, pendues dans le vide,
cherchaient et finissaient par trouver aussi un appui sur les barbes de
beaupré. Et comme je restais accroché à l’avant, presque sans haleine, un
coup sourd m’annonça que le schooner avait frappé et coulé la pirogue. Je
restais sur l’Hispaniola, sans retraite possible.