【法语版】L'île au trésor XXV(2)
XXV J’abats le drapeau noir(2)
Pendant quelques minutes, le schooner continua à bondir et à courir de
côté comme un cheval vicieux, les voiles prenant le vent tantôt à bâbord,
tantôt à tribord, le boute-hors allant et venant, jusqu’à ce que le mât gémit
sous l’effort. De temps en temps, une envolée d’embruns tombait sur le pont,
ou les bossoirs se heurtaient comme un bélier contre la lame ; car la mer était
moins clémente à ce grand et lourd navire qu’à ma pauvre pirogue informe,
maintenant disparue à jamais.
À chaque soubresaut du schooner, l’homme au béret rouge glissait de côté
et d’autre ; et, chose horrible à voir, ni son attitude ni son affreux rictus aux
dents blanches n’étaient changés par ce mouvement ; à chaque soubresaut,
encore, Hands semblait se replier sur lui-même et s’abaisser vers le pont,
ses pieds glissant toujours plus loin et son corps penchant vers l’arrière,
de sorte que sa figure devenait graduellement invisible pour moi, et que je
finis par ne plus apercevoir que son oreille et le bout d’un de ses favoris.
Je remarquai qu’auprès d’eux le pont était taché de larges plaques de sang,
et je commençai à croire qu’ils s’étaient mutuellement tués dans leur rage
d’ivrognes.
Tandis que je regardais ce terrible spectacle et que je réfléchissais, un
moment de calme survint et, comme le schooner s’arrêtait, Israël Hands se
retourna sur le côté ; puis, avec un gémissement sourd, il se souleva et reprit
l’attitude dans laquelle je l’avais vu d’abord. Ce gémissement, qui indiquait
une souffrance et une fatigue mortelle, et la manière dont sa mâchoire
pendait, m’allèrent au cœur. Mais je me rappelai la conversation que j’avais
entendue, du fond du tonneau aux pommes, et toute pitié m’abandonna. Je
me dirigeai vers l’arrière et m’arrêtant au grand mât :
« Me voici de retour à bord, monsieur Hands, lui dis-je avec ironie.
Il tourna lentement les yeux vers moi ; mais sans doute il était trop épuisé
pour marquer aucune surprise. Tout ce qu’il put faire fut d’articuler ces
mots :
« De l’eau-de-vie !… »