【法语版】L'île au trésor XXVII (1)
XXVII « Pièces de huit ! » (1)
La chute du schooner sur son flanc gauche avait eu naturellement
pour conséquence d’incliner les mâts de telle sorte qu’au lieu d’être
perpendiculaires à la surface de la mer ils fissent avec elle un angle aigu.
Aussi, mon poste élevé dans la grande vergue se trouvait-il directement audessus
de l’eau. Hands, arrivé moins haut que moi, était tombé entre le
navire et la verticale de mon corps. Je le vis remonter un instant, dans un
bouillonnement d’écume sanglante ; puis il s’enfonça pour toujours. Quand
la tranquillité de l’eau fut rétablie ; je pus le voir gisant sur le sable fin, dans
l’ombre projetée par le flanc du navire. Un ou deux poissons frôlèrent son
corps, et le frémissement de l’eau lui rendit l’apparence de la vie, comme
s’il avait encore tenté de se soulever. Mais il était mort et bien mort, et devait
servir de pâture aux poissons, à la place même où il avait voulu me mettre…
À peine eus-je acquis cette certitude, que je me sentis saisi d’un malaise et
d’une terreur inexprimables. Mon sang coulait tout chaud sur mon épaule. Le
poignard de Hands, qui m’avait cloué au mât, brûlait comme un fer rouge. Et
cependant ce n’était pas la douleur physique qui me faisait trembler, – c’était
l’horreur de me dire que si mes forces m’abandonnaient, j’allais tomber du
haut de la vergue dans cette eau verte et tranquille, à côté du cadavre…
Un instant cette vision m’épouvanta au point que je fermai les yeux pour
résister au vertige, en me retenant aux vergues avec une telle force, que les
ongles m’entraient dans la paume des mains. Peu à peu le sang-froid me
revint ; mon pouls battit plus calme, et je pus réfléchir sur ce que j’avais
à faire.